« La Politique n’est pas une bonne nouvelle, c’est un champ d’action »


Entretien, Hommage, Vie de la Cité / mardi, novembre 30th, 2010
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Michel RocardMonsieur Michel Rocard, ancien premier ministre de la France (1988-1991) a bien voulu accorder à la rédaction d’Avec Vous, journal interne de la Congrégation de l’Armée du Salut l’entretien ci-dessous. Propos recueillis par l’auteur de ce blog
1.  La Politique est aujourd’hui trop souvent synonyme de petits arrangements entre amis, critique systématique de l’autre camp etc.  Un des marqueurs de votre engagement politique est ce goût du parler vrai, du respect de l’autre, de la défense des valeurs qui font la dignité de l’Homme.  Est-il possible alors de redonner toute sa place à l’action politique au service de la République (res-publica).
Il est important de considérer tout d’abord la politique dans sa dimension de gestion des affaires courantes. Malheureusement, et l’histoire est là pour le prouver (cf. Cicéron ou Saint Simon), les magouilles sont une constante absolue. Même si, dans les pays développés, la pratique est moins brutale. Ensuite, il faut bien avoir à l’esprit que la manière dont la politique est regardée est essentielle. Le principal vecteur d’information, ce sont les médias ; ceux-ci sont soumis à l’économie de profit et doivent donc vendre pour vivre. Ainsi, l’information essentielle est évacuée au profit du spectacle. Il y a de grandes décisions en politique qui sont prises, des choses absolument énormes et les médias se limitent aux faits divers. Tout cela contribue à donner une idée fausse de la politique et rend par conséquent quasiment impossible la pratique du politique.
Du fait de l’évolution culturelle de l’humanité, il y a deux dimensions de l’action qui ne sont pas médiatisées. Tout d’abord, celle de la nécessité d’agir dans la durée, dans la vision du long terme, à l’inverse de la tendance à ne parler que du proche immédiat, qui pousse à avoir une vision courte des choses. A côté de cela, il y a une tendance lourde à faire disparaître ce qui est complexe, tout ce qui nécessite une explication austère.  Il est alors demandé de résumer ces problématiques en deux ou trois phrases ; ce qui est bien sûr loin d’être suffisant. Aujourd’hui, on ne sait plus penser à très long terme. Il y a des choses qui le méritent pourtant et peu de gouvernements ont le temps de se saisir de l’état de ces problèmes.
Par ailleurs, le monde gagne en interdépendance. Il y a un accroissement de la complexité des problèmes et donc de la complexité de la prise de bonnes décisions. Les mandats électoraux et exécutifs sont trop courts et les systèmes de communication ne permettent pas de parler de ce qui se passera après vous. Même si la politique n’est pas une bonne nouvelle, c’est un champ d’action.
L’action politique est aujourd’hui méprisée. La demande des citoyens devient irrationnelle ; ils veulent des politiques saints, pauvres et révocables à merci. La morale a pris le pas sur la compétence, même si la première est loin d’être négligeable. La limitation du cumul des mandats produit des effets pervers. Si on perd une élection, ce qui peut arriver, et si l’on n’a pas d’autres mandats derrière, il faut bien trouver une activité pour vivre. Ce qui induit que les politiques doivent avoir un autre métier derrière, une autre formation professionnelle. Cette insécurité de la politique entraîne une dérive qui se transforme en combines. Faire de la politique devient infaisable, la suspicion est permanente ; il n’y a pas plus d’escrocs dans ce monde qu’ailleurs. Le problème c’est que lorsqu’un politique est mis en cause, c’est l’ensemble de la profession qui est stigmatisé et accusé de « tous pourris ». Il est difficile alors aujourd’hui de faire de la politique dans la noblesse du terme. Malheureusement, beaucoup de ceux qui s’y engagent le font par dépit, par revanche d’une existence ratée. Je crois au déclin des sociétés démocratiques au profit de la non gouvernance, de l’anarchie. Il est important que des organisations comme l’Armée du Salut réfléchissent à cette question.
2.  La notion de crise domine l’actualité. Vous élargissez et alertez nos consciences sur un aspect qui est assez marginal et pourtant essentiel, le respect de la création et la défense de celle-ci  au risque de « poly-catastrophe ». Comment faire prendre conscience de cette urgence pour l’avenir de notre planète ?
Le fait que l’activité humaine produise des effets néfastes comme l’effet de serre, les déchets etc. et sont une véritable menace pour la survie de la planète, est une découverte récente. La prise de conscience des citoyens commence à se faire. Cependant, nous n’allons pas jusqu’au bout de la réflexion, nous sommes en quelque sorte prisonniers de l’organisation sociale des lumières.  Nous avons une vision infinie et indéracinable du progrès. Nous avons construit notre économie au mépris du changement et de la limitation de nos ressources. Notre pensée sur l’économie est en faute. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de bilan, d’état de stock de l’activité. Il faudrait introduire dans le fonctionnement de l’économie des paramètres nouveaux au regard de nos ressources, qui ne sont pas illimitées.
Le problème, aujourd’hui, n’est pas la prise de conscience, il est que personne ne sait comment s’y prendre, ni comment trouver une solution. Les problèmes portant sur les ressources de notre terre sont mondiaux et personne n’a de solution, même pas les grands pays tels que la Chine ou les Etats-Unis. Ceci dit, même si l’on savait quoi faire, on ne saurait pas comment le faire.  Il est nécessaire de constituer une gouvernance mondiale, peu importe les modalités immédiates.  Devant cette prise de conscience mondiale croissante, le citoyen de base ne sait pas vers quel choix politique s’acheminer, ce qui n’est pas sans créer des tensions, une sorte de dysharmonie sociale.
3. Dans un ouvrage de 2007, Bernard Stasi en appelle à un réveil, à un sursaut des consciences et à une action pour bâtir  « cet insaisissable vivre ensemble ».  Quelles en seraient pour vous les modalités ?
Il y a toujours eu des migrations, des déplacements de populations, ceci est une constante. Ce qui est sûr, c’est que l’on n’y échappe pas. La raison majeure en est souvent la volonté d’échapper aux inégalités de revenus. Il est important de régler cette question des inégalités de revenus entre les personnes. Cela passe par un retour au plein emploi. Il existe une concurrence dans le monde du travail, surtout en ce qui concerne les « petits boulots » entre les natifs et les personnes issues de migrations. Les premiers craignent qu’on leur vole leur travail. Ce qui crée des tensions et entraîne des replis identitaires débouchant sur des votes extrémistes. Voilà la principale cause du rejet de l’autre. Il faut user de pédagogie. Plus une population est pauvre, rejetée, mise à l’écart, plus il va y avoir en son sein des crispations et une dérive vers la délinquance afin qu’elle puisse survivre.
La crise que nous subissons actuellement doit nous amener à réformer radicalement l’économie mondiale. Nous pouvons espérer voir germer une nouvelle façon de penser pour créer le plein emploi.
L’intégration de l’autre passe par une amélioration des conditions de logement, un accueil de qualité au sein de l’école et qu’il n’y ait pas de discrimination à l’embauche, de même qu’une politique fiscale qui accueille correctement les immigrés.
En Europe, il y a un problème de natalité, de renouvellement des populations. L’ensemble des pays européens est à la baisse.  Le pourcentage d’actifs est en baisse, ce qui a un impact important sur les retraites et la protection sociale.  Il faut donc une immigration forte. Les immigrés bien accueillis créent de la richesse. Il faut s’affranchir de la peur et oser accepter cette immigration, sinon nous entretenons un système autobloquant.

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